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Les enjeux de la décentralisation
Dans
le cadre de la récente réforme de la décentralisation,
le premier janvier 2005 les présidents et conseillers de
région et conseillers généraux élus
en ce moment recevront de nouvelles responsabilités.
Or, la décentralisation est une question éminemment
politique, puisqu’elle remet en jeu les équilibres
de pouvoirs existant entre les citoyens et leurs représentants.
On veut donner plus de compétences et d’importance
à la région, qui vient (en 2003) d’être
inscrite dans la constitution comme collectivité locale.
Cela revient en quelque sorte à redessiner les zones de division
de notre territoire. Les habitants d’une région, comme
par exemple la région Centre, auront plus de points communs
entre eux qu’avant et peut être moins avec les régions
voisines. Dans la revue Espace Temps, Jacques Lévy
considère que les débats sur la décentralisation
« sont hautement politiques : la France hérite
de couches d’espaces plus ou moins indépendantes les
unes des autres. Tout l’enjeu de la décentralisation
consiste à remettre ces espaces en cohérence, en interaction
».
Lors de ces débats, on fait sans cesse mention du vieux conflit,
qui remonte à la Révolution française, entre
Jacobins et Girondins. Dans la première assemblée
démocratique française, les députés
étaient partagés entre Girondins, qui voulaient défendre
l’autonomie des régions, et Jacobins, qui voulaient
un gouvernement centralisé. On reproche souvent à
la France d’être un pays trop centralisé, par
rapport à d’autres pays, en particulier l’Allemagne,
où les Länder ont de très larges compétences,
et cette nouvelle loi devrait rétablir un équilibre.
Néanmoins, cette nouvelle loi de la décentralisation
suscite aussi des oppositions et des craintes. Tout d’abord,
il y a des inquiétudes posées par la personnalisation
du pouvoir et le cumul des mandats. Certains élus de régions
disposent effectivement d’un grand pouvoir et de réseaux
d’influence : les conseillers régionaux peuvent aussi
être députés, jouer et profiter de leur pouvoir.
D’où une tentation de corruption : les conseillers
connaissent bien leur régions, ils ont le soutien de patrons
locaux… La proximité du pouvoir a aussi des inconvénients
! D’autre part, la réforme s’accompagne d’une
limitation des compétences des chambres régionales
des comptes dans le contrôle sur la gestion des collectivités
locales et le projet de loi pour simplifier l’administration
devrait baisser le seuil à partir duquel il est nécessaire
pour la collectivité de faire un appel d’offre pour
conduire des travaux.
La
question des financements est aussi un point très important
de cette réforme : en effet, le gouvernement délègue
aux collectivités locales le soin de gérer de très
nombreuses tâches, mais lui-même a pour cela un budget
important et du personnel : il devrait donc également transférer
aux collectivités ce budget, ces ressources. Il a deux moyens
de le faire : soit il donne directement l’argent qu’il
y consacrait aux collectivités, pour qu’elles le dépensent
dans ces nouvelles compétences, soit il transfère
aux régions la gestion, la direction des impôts qui
lui fournissaient les ressources. Je m’explique : dans ce
cas, une partie des impôts serait directement décidée
par les régions en fonction de leurs besoins. Les collectivités
locales seraient elles-mêmes chargées de ces impôts,
en en choisissant le taux, et seraient moins dépendantes
du bon vouloir de l’Etat. En revanche, le point négatif
serait une inégalité entre régions riches et
régions pauvres : il n’y aurait plus redistribution.
Cela a un enjeu très important, c'est-à-dire que les
régions pauvres manqueraient de moyens, qui justement, permettraient
à la région de se développer, en aidant à
la formation professionnelle, en modernisant les lycées…
L’Etat devra donc veiller à redistribuer une partie
des sommes pour permettre à toutes les régions, en
fonction de leurs besoins et de la taille de leur population, de
remplir leur mission. Il pourrait aussi y avoir rupture d’égalité
entre les citoyens, et pour certains financements on ne ferait plus
appel aux contribuables en général, mais directement
aux utilisateurs : par exemple si on instaure un péage sur
les voies express, on demande aux usagers de payer l’entretien
des voies, ce qui peut sembler plus juste a priori, mais cela comporte
certains pièges : désormais ceux qui auront accès
au service seront ceux qui pourront payer. Les taxes indirectes,
contrairement aux impôts directs, ne prennent pas en compte
les ressources des personnes imposées : si les personnes
aux revenus les plus faibles ne payent pas, ou peu d’impôts,
ils payent les taxes indirectes (Taxe sur la Valeur Ajoutée,
Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers, etc.)
au même taux que les plus riches.
Il
faut maintenant rappeler en bref les nouvelles compétences
de ces collectivités. Rappelons que les collectivités
locales sont les communes, les départements et les régions.
Les départements sont gouvernés par les conseils généraux,
les régions par les conseils régionaux. Avec à
chaque fois un président élu par l’ensemble
des conseillers.
Les conseils généraux vont recevoir comme compétence
l’entretien des routes (auparavant le domaine routier était
national), la gestion du RMI (revenu minimal d’insertion)
et du RMA (revenu minimal d’activité). Dans le domaine
de l’éducation, les départements auront en charge
le recrutement et la gestion des personnels techniciens des collèges
(mais pas des professeurs) pour en assurer l’entretien, le
fonctionnement et l’équipement. Ils joueront également
un rôle dans le sanitaire et le social : plan d’élimination
des déchets ménagers et musées départementaux
et gestion des archives.
Les régions reçoivent quant à elles des compétences
concernant les lycées et la formation professionnelle. Elles
doivent gérer des aides à l’économie
(entreprises, artisanat, tourisme et commerce) ; elles devront aussi
gérer le patrimoine, en s’occupant des parcs régionaux
et de faire des inventaires du patrimoine, et géreront certains
modes de transports : aérodromes civils, voies fluviales
et ports. Dans certaines régions, les transports prennent
un grand poids, comme par exemple en Lorraine, où les transports
sont au centre du programme de la liste du président sortant
pour les élections régionales.
Après
1982, 2004 marque donc une nouvelle étape de la décentralisation
. A quand l'étape suivante ?
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