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> La Turquie et l'Union européenne : vers un futur commun ?

L’entrée potentielle de la Turquie dans l’Union européenne provoque une intensité de débats déconcertante pour un auditeur non averti du problème.
Il faut tout d’abord savoir que, quoi que les institutions européennes et les chefs de gouvernement décident, la candidature de la Turquie a d’ores et déjà été acceptée, même si la date de l’entrée comme membre à part entière est encore en discussion. Cela s’est fait au sommet d’Helsinki en 1999 : pourtant, en cette période d’élargissement, les hommes politiques multiplient les déclarations, prenant position pour ou contre cette entrée, comme si cela restait encore à décider. Tant que la Turquie ne répondra pas aux critères de Copenhague, concernant essentiellement le respect de la démocratie et la situation économique, la question ne se posera pas de manière urgente. Mais la Turquie fait beaucoup d’efforts pour répondre à ces critères, sans à parvenir, mais si l’évolution se poursuit alors il faudra se décider : la laisse-t-on rentrer dans l’Union européenne, comme elle le souhaite, ou lui claque-t-on la porte au nez ? Pour quelles raisons ?
L’entrée de la Turquie dans l’Union européenne pourrait poser de nombreux problèmes, mais également apporter plein de points positifs pour les autres pays de l’Union.

La question de savoir si la Turquie appartient ou non à l’Europe est la première des questions qui vient à l’esprit : pour cela, il faut définir ce qu’est l’Union européenne, quel est son but, quelles doivent être ses frontières. Il peut s’agir des limites géographiques : l’Union européenne comprendraient tous les pays géographiquement européens, tous ceux qui le veulent tout au moins, car la Suisse, la Norvège et l’Islande, bien qu’appartenant à l’Europe géographique, ne souhaitent pas adhérer pour l’instant à l’Union. Les frontières au Nord, au Sud et à l’Ouest de l’Europe sont définies par des mers : elles ne posent donc pas vraiment problème, sauf si on considère que le Maghreb a vocation à entrer dans l’Union européenne, ce qui reste une opinion minoritaire. En revanche, la limite de l’Union européenne à l’Est pose plus de problème : après l’élargissement du premier mai, qui a fait entrer les pays baltes, la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque et la République Slovaque dans l’Union, on peut se demander jusqu’où ira l’Union si elle décide de continuer à s’étendre ainsi à l’Est : veut-on l’Europe de l’Atlantique à l’Oural, en Russie, ou veut-on rester moins nombreux ?

La Turquie, géographiquement, n’appartient pas à l’Europe. Ou alors, une toute petite partie de son territoire, la Roumélie, appartiendrait à l’Europe : la partie où se situe Istanbul, la partie située entre la Bulgarie et le Bosphore. Une toute petite part de territoire par rapport au reste du pays, le trentième du pays environ. Mais la question géographique n’est pas la seule raison : l’appartenance à l’Europe peut être considérée de plusieurs façons : ce pays qui a la volonté de rentrer dans l’Union européenne, correspond-il à ce qu’on s’imagine de l’Europe ? Culturellement ?

D’après Paul Valéry, l’Europe, c’est l’ensemble des territoires qui ont subi successivement l’influence de la civilisation grecque, puis de la civilisation romaine et enfin du monde chrétien. La Turquie a assurément subi l’influence du monde grec, elle a tardivement appartenu au monde romain et elle a été en contact avec le monde chrétien, en s’étendant sur des territoires chrétiens, l’empire romain d’Orient. D’autre part, l’empire ottoman, qui précède la Turquie, a longtemps combattu contre les pays d’Europe tels la Hongrie, l’Autriche… Plusieurs fois, les armées ottomanes se sont retrouvées aux portes de Vienne, il serait donc faux de dire que l’influence du monde chrétien n’est pas allée jusqu’à l’empire ottoman. D’autre part, des communautés chrétiennes vivaient dans l’Empire ottoman, selon le système du millet : les communautés étaient regroupées par religion, et non pas par nation, et le chef religieux devenait l’intermédiaire avec les pouvoirs ottomans pour administrer la province. Toutefois, même si la liberté de religion était assez bien respectée, les chrétiens et les juifs n’étaient pas considérés comme égaux aux musulmans, ils n’étaient pas intégrés : on les laissait vivre en paix dans leur communauté, mais ils n’avaient pas le loisir de participer à la vie politique et culturelle du pays, à moins de se convertir à l’islam. Considérées comme inférieures, leurs idées ne traversaient pas la société ottomane.
L’influence d’autres chrétiens, ceux de l’Europe occidentale, était tout aussi limitée : tant que l’empire ottoman a été en situation de puissance, il a évité les contacts avec l’Europe, sauf pour des alliances militaires. Jusqu’au 19e siècle, il y avait peu de gens dans l’empire qui parlaient une langue européenne. Puis l’empire ottoman, reconnaissant une certaine faiblesse dans l’organisation de l’armée et un retard dans les techniques militaires, commença à chercher à rattraper son retard en utilisant des techniques européennes. En ce qui concerne la médecine, par exemple, les premiers cours de médecine moderne furent donnés en français par un Français, qui apportait ses connaissances d’Europe, mais les élèves avaient reçu la mission de trouver des noms turcs pour traduire le vocabulaire spécifique.

A la révolution de Mustafa Kemal dans les années 1920, le pays subit une grande influence européenne, car les élites politiques essaient de débarrasser le pays de ses traditions, de sa culture, pour lui apporter la « civilisation » d’Europe. Il y a donc eu « européanisation » mais a-t-elle traversé toutes les couches de la société, à la campagne comme à la ville ?

Contrairement aux autres pays de l’Union européenne, la Turquie n’est pas un pays chrétien : c’est un pays musulman à 98%. Depuis la mort de Kemal en 1938, la Turquie est revenue sur la conception « intégriste » de la laïcité qu’il avait imposé. La religion a commencé à reprendre une place dans la vie sociale du pays, et même dans la vie politique, puisque des partis musulmans se sont créés. En matière de religion, l’Union européenne reproche à la fois à la Turquie son manque de respect de la liberté de religion, et moins ouvertement elle lui reproche aussi de n’être pas chrétienne. La question peut en effet se poser : en admettant que la Turquie ne soit pas un « club chrétien », la religion a tout de même une influence sur la culture d’un pays. Certains, voyant la montée d’un intégrisme islamique dans d’autres pays, l’essor du terrorisme d’origine musulmane, craignent que la démocratie à l’occidentale ne soit pas compatible avec l’islam. Cela est possible, néanmoins si cela n’était pas le cas, la présence de la Turquie dans l’Union européenne, avec un islam modéré, compatible avec une tolérance des croyances, pourrait être un atout pour l’Union européenne, et ce pour de nombreuses raisons : l’islam tel que présent dans la vie politique et sociale turque pourrait être un modèle pour d’autres pays, qui cherchent à trouver un modèle de démocratie, différent de celui appliqué dans les pays chrétiens, qui pourrait être celui appliqué à la Turquie ; l’Union européenne aurait donc un rôle à jouer, de conseil, dans la recherche d’un équilibre entre laïcité et respect de la religion. Elle aurait aussi une plus grande influence sur les pays musulmans, en récupérant une part du pouvoir géopolitique de la Turquie, en tant que grand pays, dans une zone musulmane, et parce qu’elle aurait montré son acceptation des valeurs musulmanes. Enfin, sachant que des pays de l’Union européenne comptent déjà de nombreuses communautés musulmanes, ne pas reprocher à la Turquie d’être musulmane au moment de son entrée dans l’Union européenne pourrait permettre à ces communautés de se sentir intégrées, désirées comme partie d’une communauté acceptant les différences.

D’autre part, la religion musulmane ne doit pas être un obstacle à l’entrée dans l’Union européenne si l’on considère que d’autres pays, géographiquement européens, qui ont vocation à entrer dans l’Union européenne le jour où ils seront prêts, comptent d’importantes minorités, voire une majorité de leur population, de religion musulmane, tels que l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Macédoine, ou la Roumanie.
La question de la religion est une question à se poser maintenant, à l’heure de l’élargissement, à l’heure du traité constitutionnel et de la mention de Dieu dans le préambule. De quel Dieu nous réclamons-nous, de quelles valeurs et de quel héritage nous voulons-nous ?

Le problème de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne tombe bien, finalement, car elle nous oblige à nous poser maintenant la question de l’identité de l’Union européenne et de sa vocation. Même si aujourd’hui la Turquie n’est pas prête, elle le sera un jour : les difficultés économiques et les manques de démocratie pourront se résoudre avec de la volonté, et la Turquie n’en manque pas, pour rentrer dans l’Union. Mais la question culturelle ne sera pas résolue autrement que par une décision de ce que l’Union Européenne doit être.

 

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